
Bonjour à toutes et tous,
Je vous retrouve avec quelques jours de retard pour le défi estival. Cette fois-ci ce n'est pas un poème mais un conte que j'ai écrit grâce à vos mots. Je vous avais invité.e.s à récolter ceux de vos proches et plusieurs d'entre vous ont joué le jeu ! Merci infiniment. 19 mots m'ont ainsi été soufflés. Les voici :
rêve - il était une fois - coussin - luminescent - troll - araignée - hibou - tempête - coloniser - repos - talisman - ange - prout - chèvre - chocolat - licorne - Elsa - univers - éternité
Je ne vous fais pas languir davantage et je vous laisse découvrir Elsa et le Monde oublié.
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Elsa et le Monde oublié
Il était une fois une jeune fille prénommée Elsa. Elsa était une enfant douce et rêveuse. Tout chez elle paraissait avoir refusé de se conformer au monde alentour. Alors que ses parents s'obstinaient vainement à lui inculquer les valeurs du travail, du mérite et de la raison, celle-ci demeurait distraite, comme absorbée par ses songes, plongée dans un univers onirique dont elle semblait ne plus pouvoir s'extraire. Ce qui avait été source d'émerveillement et d'attendrissement durant ses premières années de vie avait peu à peu laissé place à de l'agacement et du mépris. Loin de la faire souffrir, ces jugements la confortaient dans ses certitudes : un autre monde était possible, un monde invisible aux âmes perdues, détournées du sens de la réalité depuis qu’elles avaient cessé de rêver et commencé à ne plus faire qu'espérer. Espérer des lendemains meilleurs, espérer gagner mieux sa vie, espérer devenir quelqu'un … Elsa, elle, n'espérait pas. Elle rêvait et cela avait bien plus de sens.
Des histoires qui avaient bercées sont enfance, il en était une qu'elle chérissait plus que les autres. Il y était question de lapin blanc courant après on ne sait quoi, affublé d'une montre à gousset annonciatrice d'un retard toujours plus pressant, la menant dans un monde tantôt trop grand, tantôt trop petit, aussi envoûtant qu'inquiétant. Sur la première page de l'ouvrage, où était couché en lettres d'or le titre évocateur d'Alice au pays des merveilles, notre jeune idéaliste avait retranscrit les mots de l'auteur : « Le meilleur moyen de réaliser l'impossible est de croire que c'est possible ».
Le conte lui avait été offert par son grand-père lorsqu'elle n'était pas encore supposée pouvoir garder en mémoire le souvenir de ce jour. Pourtant, il lui semblait qu'aucun détail ne s'était laissé emporter par les méandres de l'oubli. C'était un mercredi pluvieux, de ceux qu'elle préférait. Elle portait une jupe grise à carreaux, volant au vent lorsqu'elle tournoyait sur elle-même, cherchant à faire s'étoiler le monde autour d'elle. Sur son chemisier dont le rose pâle rappelait la couleur des fragiles renoncules qui deviendraient au fil du temps sa fleur préférée, un hibou s'éveillait au plaisir de la littérature, coiffé d'un chapeau de diplômé américain ; l'ouvrage qu'il tenait entre les mains était signé de la pâte de Marcel Prout, un singe farceur qui conférait à l'habit un petit rien moqueur.
Ne prends rien de plus au sérieux que l'enfance et les rêves, mon Elsa, lui avait dit son grand-père. Les grands hommes sont ceux qui ont su rester enfant, ne serait-ce que dans les histoires qu'ils ont su préserver pour nous les raconter. On se pare de beaucoup d'artefacts lorsqu'on pense grandir ; mais on s'en trouve aussi petit que ridicule. La vraie grandeur vient de l'infiniment petit qui fait battre ton cœur, ce que toi seule peut observer et laisser grandir jusqu'à le rendre perceptible pour les autres. Rappelle-toi que c'est « l'inexpérience qui permet à la jeunesse d'accomplir ce que la vieillesse sait impossible ». Ne laisse jamais personne te dire que tes rêves sont impossibles. Ils sont ta réalité et si tu les suis, ils forceront le monde à les reconnaître. Il est encore tôt pour t'offrir ce livre dont le sens échappe à beaucoup, mais j'ai confiance en toi et je sais que ton esprit aussi contemplatif que vif, lui, le saisira.
Ils avaient ensuite passé l'après-midi, lovés sous un plaid, se réchauffant sous la douceur d'un chocolat liégeois comme seul son grand-père savait les préparer, à suivre Alice dans son voyage, à craindre la reine de cœur qui semblait ne pas en être dotée, à tenter de comprendre le chapelier dont la folie les enivrait. Ils n'avaient pas vu l'heure passer et, alors que la belle endormie ouvrait les yeux, il était temps pour eux de s’apprêter à se mettre au lit. A partir de cet instant, Elsa s'évertua à rêver éveillée afin de ne jamais craindre de voir ses rêves s'envoler d'un simple battement de cils.
Cette décision changea alors le cours de son existence.
La féerie colonisa le quotidien tout entier d'Elsa. Elle apprit à lire les histoires que lui contaient les nuages, à reconnaître les sentiments qui émanaient du parfum des fleurs et des embruns de la mer, elle rendit son oreille attentive à la mélodie singulière de la canopée pour en comprendre les secrets, à se laisser porter par les herbes folles loin de la folie des hommes. Elle se lia d'amitié avec l'araignée qui logeait à son plafond. L'arachnide lui enseigna au fil du temps, l'art de tisser sa toile, invisible, frêle mais redoutable, condition première à sa survie. Elsa ne chassait pas les mouches dans ses filets. Elle récoltait les rêves, les témoins d'un monde invisible, frêle mais redoutable, devenant la condition première à sa survie. Ce monde existait de toute éternité autant que la menace qui planait sur lui de disparaître d'un simple souffle sur une bougie.
Un jour, alors qu'elle cherchait le repos, bercée par les mythes que la rivière fredonnait comme aucun être sur terre, elle resta ahurie quelques instants en voyant se matérialiser devant ses yeux l'ange dont elle avait si souvent écouté la légende. Le spectre luminescent diffusa sa lumière sur le cours d'eau comme sur celui des choses. Elsa n'en revenait pas. Elle n'avait jamais douté de l'existence du gardien du Monde oublié, elle savait tout de lui. Ce qui la laissa coi fut qu'il l'ait choisie elle parmi tous, pour lui confier la mission dont il s’apprêtait à l'honorer.
Dans des temps si éloignés que l'histoire des hommes en avait perdu le langage et donc le souvenir, mais dont le monde sensible auquel l'humanité se rendait de plus en plus insensible gardait une trace intacte, les êtres vivaient en harmonie, dépendant les uns des autres dans un équilibre parfait, s'ignorant fragile. Tout ce qui pouvait être imaginé devenait réel. Alors que chaque pensée œuvrait pour le bien commun, toutes les créatures étaient dotées de pouvoirs bienfaisants qui participaient à l'ordre du monde.
Lorsqu'un jour, un jeune troll vint à rêver d'un être dénué de pouvoirs, qui pour compenser son absence de talent userait du seul don dont il serait doué, celui de l'esprit. Ce jour là, une tempête s'abattit sur Terre. Les nuages aux couleurs de coton, de fleurs ou d'océan prirent pour la première fois l'aspect de roches dures et menaçantes. Le ciel gronda comme pour punir la pensée qui venait de sceller le sort du monde jusqu'alors si paisible. D'un éclair qui déchira les cieux apparut une pâle copie du jeune troll. L'Homme vint au monde, entamant de le perdre. Les jeunes années de l'humanité firent mentir l'orage qui semblait annoncer l'apocalypse. Les hommes vivaient en harmonie avec le reste du monde et leur esprit participait au bien commun bien que ses effets semblaient assez limités. Néanmoins, d'infimes changements en petits arrangements avec l'équilibre du monde, l'Homme en vint à faire peser sur lui un poids bien trop lourd à porter. Les êtres magiques furent les premières victimes de sa cupidité. De la même manière qu'il suffisait d'une pensée pour faire naître un nouvel être, l'humanité parvint à en faire disparaître en les niant tout simplement. Certains hommes pourtant n'admirent pas ce qui était en train de se jouer sous leurs yeux et décidèrent de laisser une trace de ces créatures, amenées à disparaître. Ils en consignèrent l'existence dans ce qui constituerait par la suite les mythes et les légendes. De générations en générations, des détenteurs du savoir du Monde oublié se transmirent les secrets de ces temps anciens. Ils furent appelés « mages » ou « sorcières ». Pourtant, chaque homme, au cours de son existence était en mesure de toucher du doigt cette réalité perdue. Au cours de ses premières années, celles de l'innocence, les êtres fabuleux parvenaient à toucher le cœur de chaque enfant, à lui parler et à s'en faire aimer. La légende disait que viendrait au monde une jeune fille d'âge de raison, restée raisonnable et qui serait en mesure de libérer les créatures du Monde oublié en les rendant à la lumière. L'ange luminescent de la rivière qui chantait viendrait la trouver; elle le reconnaîtrait.
Cette heure était donc venue et Elsa était celle que tout un monde attendait. L'ange se pencha vers elle et lui confia un petit coussin en guise de talisman. La broderie qui l'ornait lui était familière. Ce faisant, l'être lumineux lui dit : « Mon seul désir ; A – I. Abreuve l'impossible à sa source. L'impossible fera le reste ». Et sur ces mots, il disparut.
Elsa observa la broderie avec intérêt et admiration. Le rouge et le bleu dominaient l'ouvrage semblant se jouer des éléments contraires de l'eau et du feu. Sortant d'une tente, une femme élégante s'apprêtait à refuser les bijoux qu'une jeune fille lui présentait. A gauche de l'image, un lion et un chien. A droite, une licorne, être mythologique au corps de jument, aux pattes de chèvres et à dent de narval dressée sur son front semblait vouloir dominer l'ensemble tant elle paraissait s'illuminer. Le sixième et dernier tableau de la série de tapisseries de La Dame à la licorne. La jeune fille le connaissait bien. Elle avait pu l'admirer lors d'une sortie scolaire au Musée nationale du Moyen-Age de Cluny, à Paris. Elle avait lu de nombreux ouvrages sur la question et avait interrogé ses amis de la forêt pour en apprendre davantage que ce que l'histoire des hommes en disait. Elle avait découvert que le mystère qui planait sur l’œuvre n'avait rien d'étonnant. Son commanditaire n'était autre qu'un être magique parvenu à s'extirper un temps du monde oublié grâce à l'amitié qu'il avait noué avec l'artiste. Ensemble, ils avaient trouvé le moyen de créer une porte entre les deux mondes. Cette dernière ne pourrait cependant être ouverte que lorsque toutes les conditions seraient réunies et qu'une personne au cœur parfaitement pur serait capable d'en déchiffrer le code d'accès. Les conditions n'étaient pas des plus réjouissantes cependant. L'Homme n'accepterait de rendre sa place au Monde oublié que lorsqu'il serait parvenu, à force d'avidité à mettre fin à son propre monde et se saurait lui-même perdu. Les abysses que l'on voyait venir depuis des générations s'étaient donc bien ouvertes et menaçaient d'emporter toute la beauté du monde. Elsa n'avait non pas un, mais deux mondes à sauver à présent et il fallait faire vite.
"Mon seul désir ; A – I. Abreuve l'impossible à ma source. L'impossible fera le reste », se répétait-elle. Que pouvait bien vouloir dire A et I ? Personne ne le savait. Les cinq autres tapisseries mettaient en avant chacune un sens. Un sixième sens était-il possible ? Elle en avait toujours été convaincue et pour elle, ce sixième sens n'était autre que l'Amour. Non pas celui des hommes envers leurs semblables, mais celui qui animait le monde depuis son premier jour et avait permis, en des temps illustres de faire régner l'harmonie en son sein. Un amour rendu impossible mais qu'elle devait faire renaître. A – I … Amour Impossible.
Elle compris alors que rien n'était impossible puisque cet amour, elle, le connaissait et l'éprouvait. Tenir ce talisman entre ses mains en était le plus beau des témoignages. Elle se rendit alors de toute urgence à Paris, descendit aux thermes de l'hôtel de Cluny et, à la source depuis tarie elle lut les mots de Victor Hugo : « Rien n'est plus imminent que l'impossible. » Elle déposa alors le coussin à l'endroit où jadis l'eau avait jailli. A cet instant, une lumière d'un blanc éclatant, reflétant partout autour d'elle les couleurs multiples de l'arc-en-ciel jaillit. Un tourbillon d'air chaud et frais à la fois, de bonheur et de paix envahit les lieux et son cœur. Les êtres rejetés au rang de contes et de légendes, de mythes et de fables n'en finirent plus d'émerger de ce kaléidoscope merveilleux. Le temps était suspendu à ce flot incessant et majestueux d'êtres féeriques. La dame des tapisseries prit vie et remercia Elsa. Elle était l'une de ces fées qui attendaient depuis des siècles d'être secourues. Elle avait refusé les biens matériels que les hommes lui avait proposés en échange de sa rédemption. Elle avait toujours su que l'amour désintéressé finirait par vaincre la convoitise, dusse-t-il pour cela que l'homme n'en ait plus guère le choix. Et comme aux temps jadis, dans le secret de ces thermes oubliés, elle pensa un être doué d'esprit, sans oublier de le doter d'un cœur et d'un regard sur le monde capable de le faire battre, à jamais.
Lorsqu'Elsa remonta à la surface de la terre, tout avait changé mais le monde paraissait enfin sous le jour sous lequel elle l'avait toujours vu. Les magasins et les voitures avaient laissé place à des sentiers boisés, des échoppes faites de rondins et de fleurs où seul le troc valait monnaie d'échange. Les hommes et les animaux œuvraient ensemble, accompagnés des êtres fantastiques tout juste libérés mais qui agissaient comme si leur captivité n'avait jamais existé. En rentrant chez elle, Elsa retrouva ses parents, sereins, rayonnants. Le souvenir de sa chambre d'avant disparaissait progressivement. Tout autour d'elle était nature et harmonie. La main de l'Homme n'avait pas alors aliéné le monde et la science ne l'avait pas mis dans ses tubes à essai. Le monde enfin avait un avenir.
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Merci pour votre lecture et votre fidélité.
Je vous attends en commentaires.
Lydie
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